Les enfants de Pierre et Marie CurieRencontres des samedis 15, 22, 29 juin, et 6 et 13 juillet 2024dans le préau de l’école Pierre-Curie (Vieux Neuville) Propos recueillis par Anne-Sophie Groué-Ruaudel
LES ENSEIGNANTSPierre Larchevesque, né en 1942, a commencé à travailler à 22 ans après l’armée. Il a enseigné un an au Tréport puis toute sa carrière à Pierre-Curie, de 1964 à 1997. Son épouse enseignait en maternelle. « J’ai passé 37 ans ici, mais avant j’ai fait un an au Tréport, avec les enfants des pêcheurs : les pères rentraient tard, souvent avec un coup dans le nez. Certains enfants aussi buvaient un verre de vin avant l’école, au CP ! Ça laisse des traces. J’ai dû avoir treize jours d’absence en tout. Je pense avoir vu passer 1 050 élèves : 30 par classe, sur 34 ans. C’est la même école qu’avant, sauf que le préau a été embelli.Il y a eu des événements malheureux aussi : une gamine de 8-9 ans a été violée et étranglée par son père. C’était une de mes élèves. C’est terrible, ça. Un autre événement malheureux, c’est quand un enfant a été écrasé par une voiture, tout près d’ici. Un autre est tombé du haut de la falaise, il est resté accroché. Il était dépressif, à 9 ans ! Quand c’était comme ça, on faisait le psy avec sa classe. »
Jeanine Kaberseli, née en 1939 : « J’étais à l’inauguration de Marie-Curie en 1969 avec Mme Larchevesque, Mme Boquet la directrice et moi. Il y avait trois classes la première année, puis quatre avec un trentaine d’élèves par classe. Au début, il y avait lespetits, les moyens et les moyens-grands de ma classe. J’ai commencé à Marie-Curie à 30 ans quand même ; avant, j’étais à vreux où j’ai fait mon école normale. Mais je me suis mariée avec un monsieur qui habitait Dieppe. Je suis restée 16 ans, jusqu’en 1975 où j’ai pris la direction de l’école Vauquelin jusqu’à ma retraite. Sur la photo de la première année, il y a Arnaud Larchevesque et mon fils. »Hélène Piquet : « Je suis arrivée après Paul-Bert et Langevin, et je suis restée à Pierre-Curie de 2006 à ma retraite en 2014, il y a dix ans. Je continue des actions de bénévolat avec les écoles, je garde contact via le conseil de quartier dont je fais partie, avec notamment le projet intergénérationnel avec la RPA Beau-Site. Même chose pour Langevin avec Beau-Soleil. »
Mme Delamotte, (87 ans) arrive avec sa petite-fille. “Papi était directeur en 1968.” « J’ai eu trois enfants : Marie-José, René et Corinne. Après ici, je suis allée huit ans à Eu où j’ai terminé ma carrière en 1990. Avant Dieppe, j’avais travaillé dix ans à Saint-Pierre-le-Viger. J’ai travaillé longtemps ici, c’était mieux avec la proximité de Dieppe et de ses activités. »Francine Bauchet.Amélie Aublé, ex-élève et toujours enseignante en CP : « J’ai été scolarisée ici entre 1989 et 1996. Pour moi, la maternelle n’a pas trop changé. Ici, il y avait les WC à l’extérieur et un bâtiment de formation pour adultes Fodeno, en dehors de l’enceinte de l’école. J’ai eu Mme Jouen en CP, M. Noël en CE1, M. Larchevesque en CE2,
Mme Jouen en CM1, Mme Bauchet en CM2. Et en maternelle : Mme Gaillard, Mme Grenier et Mme Alonso. »Cécile Minart, toujours enseignante en CE2 : « Je suis là depuis 2007. Le préau était rose saumon à l’époque, comme toutes les classes. »Nicolas Buquet, directeur pendant dix ans, est parti à Paul-Bert en 2022. « J’ai travaillé 10 ans avec certaines collègues de Pierre-Curie. On a mis en place tout pour la construction de l’enfant. J’ai toujours considéré que l’école, ce n’est pas seulement lire, écrire, compter : ce sont les futurs citoyens responsables et capables de choisir que l’on forme. Parfois, je repasse, je déjeune avec les collègues à l’extérieur. C’est la taille de l’école qui fait que les collègues ont partagé quelques années une cohérence dans la façond’enseigner, de gérer les parents et les familles. Quand je travaillaisici, je n’étais pas convaincu de venir au boulot : on venait pour retrouver les enfants, j’ai jamais eu l’impression de venir bosser. Il y a peu, je suis allé à l’inhumation d’un ancien élève, décédé à 22 ans : ses copains d’école étaient là, venus de l’école aéronautique de Toulouse notamment. Ils disaient qu’ayant grandi ensemble, ils voulaient être ensemble le jour J, jusqu’au bout. Les valeurs
évoluent avec la société mais restent la fraternité, l’écoute, le dialogue qui fait qu’il n’y a plus de différences. Ici, j’ai l’impression qu’on a toujours eu de l’ambition pour tous nos élèves, en fonction de leurs capacités, de leurs dispositions qui ne sont pas les mêmes pour tout le monde. L’ambition, c’est la considération, une forme dedignité. Aujourd’hui les gens ne se sentent plus considérés, c’est çale problème. D’ailleurs, lors des réunions de rentrée, je demandais à tout le monde de venir, aussi les personnes qui faisaient le ménage, la cuisine… Je leur disais : les parents doivent vous voir, vous faites partie de l’équipe éducative. Comme une chaîne de vélo: quand un maillon pète, on ne peut plus avancer. »
UN TEMOIGNAGE A PART : JOJOJoëlle Piette, alias Jojo, est née en 1962 à Dieppe. Elle a habité rue de l’Alouette, après avoir vécu rue du Mortier-d’Or et ruelle des Grèves. Elle a travaillé à l’école Curie de 1976 à 1982.« J’ai commencé ma carrière à la SDEM (Société dieppoise d’équipement maritime) près du commissariat dès 1980. Avant, je faisais des centres aérés avec mon Bafa pour avoir un peu de sous : on était six, j’étais l’aînée. Ma mère m’avait dit de travailler les vacances et le mercredi. Je me suis mariée en 1985 et j’ai habité le Nobilé au centre de Neuville. J’ai eu trois enfants : Aline en 1986, qui est responsable de la cantine à l’école Prévert à la rentrée prochaine (je l’ai mise au courant) ; Gilles en 1990, je n’ai plus de nouvelles de lui ; et Romain en 1996, qui est militaire au
Mans. Après une période de chômage, mon ex-belle-mère m’a fait entrer à la Ville. Mon ex-mari travaillait sur les chantiers de la Manche, il a été licencié. Le maire Irénée Bourgois avait donné la priorité aux femmes de marins licenciés pour les postes à la Ville. J’ai travaillé dès novembre 1986 au service Enseignement et j’ai tout de suite fait les ménages dans les cantines avec l’entretien le soir, la restauration. A Desceliers je suis passée responsable de cantine et j’ai travaillé dans toutes les écoles primaires et maternelles. Ça m’acarrément plu. Quand j’ai commencé, il y avait de grosses gamelles à cuire sur place et on était de corvée de gamelles, c’était dur. La viande, les légumes étaient livrés et la cuisinière faisait tout sur place. Mais on avait de grosses pertes sur les rôtis par exemple et c’était difficile ànettoyer. L’Assiette dieppoise est arrivée en 1996. Là, on préparait encore les entrées quand même.J’ai toujours servi les enfants à table, j’étais la dernière à passer auself ces dernières années, car je ne voulais pas. Surtout pour ma dernière année, on m’a cassé les pieds jusqu’au bout. Après, j’aimais les enfants, c’est le principal. Ça fait 23 ans que je suis là. Une fois, j’en ai accroché un sur la chaise avec une corde à sauter :celui-là, maintenant, il est instit en maternelle ! Certains ne voulaient pas dormir, au dortoir, alors les filles m’appelaient et rien qu’à me voir, c’était bon. J’aime bien quand il ya du respect. Quand je faisais les gros yeux, ils se glissaient sous leur couette et ils dormaient deux minutes après. Quand j’entendaisdu bruit, je n’avais qu’à me racler la gorge et le calme revenait. Lesenfants savent les limites, quand on rigole et quand je dis stop,
c’est stop. Si on n’élève pas la voix, on se fait bouffer. C’est déjà arrivé qu’il y en ait une qui jette son assiette de purée. J’ai mis un coup sur la table, ça a fait sauter toutes les assiettes et la petite a tout mangé. Quand on dit non et qu’il y a des hurlements, on met l’enfant de côté et c’est fini. Quand Béa dit « Je vais appeler Jojo »,elle n’a pas besoin de rouspéter. Une fois, un a manqué de respect à Salma : elles me l’ont dit le lendemain.J’ai toujours voulu être seule dans mon office, mon réfectoire ; je n’ai jamais voulu personne pour m’aider. Quand il y a eu trop d’enfants, on a voulu mettre quelqu’un pour m’aider : je me suis levée et j’ai claqué la porte. C’était mon office, mes affaires. On a eu jusqu’à 75 enfants à Marie-Curie, on aurait dû être deux avec deux services.Une journée type : à 7 h, l’entretien des WC, de la garderie et de lasalle de jeux ; après on cause dans l’entrée avec les parents ; on fait dame pipi et les parents viennent parler avec nous dans les WC ou on garde les poussettes à l’entrée ; parfois on finit de parler à laporte secrète à Jojo (côté parking) ; on me ramène des bouchons de bouteilles en plastique ; à 9 h 30 c’est la préparation, je coupe les légumes, le fromage, le pain ; à 10 h 30 je mets la table ; je passe la vaisselle du petit déjeuner ou du matin dans une bannette ; je me promène dans l’école pour discuter avec les collègues comme ma Béa (c’est ma meilleure copine depuis au moins 20 ans) ; les petits mangent à midi, les moyens et les grandsà 12 h 45 ; après le self on a continué avec deux services car il y avait moins de tables. Avec le self, il y avait des chutes d’assiettes au début. Dès la 2e journée, je posais le plat et ils venaient avec leur assiette chercher à manger. Parfois il y avait des catastrophes
mais c’est pas grave. Pour le dessert, ils venaient le chercher. Après pour débarrasser ils posent sur le chariot les assiettes, les couverts dans une bannette, les verres dans un panier. Ceux qui rangent les chaises ont droit à un bonbon : certains viennent exprès à la garderie. Je finis à 15 h, d’office je vais à la garderie causer avec Béa mais je ne touche pas à son boulot car elle est tatasse (découpage, collage dans les cahiers…). Jusqu’à 15 h 45 ou 16 h, je rends service ; il m’est arrivé de rester parler jusqu’à 18 h avec Katucia : son mari a fini par appeler pour savoir où elle était !Tous les ans, on fait une sortie avec l’école. Quand les enfants sont trop énervés, je monte la voix et eux, ça les ramollit.Quand j’ai divorcé, ma 1e avait 10 ans, le 2e je sais plus et j’étais enceinte du 3e sans le savoir. On a divorcé en juillet et je m’en suis rendu compte en septembre. On m’a proposé un congé maternité. Je leur ai dit : « Vous voulez que je meurs chez moi ? » J’ai eu un arrêt maladie une fois, je l’ai jamais sorti de mon sac. J’étais jamaischez moi le week-end. Maintenant quand j’y suis, j’y reste du vendredi soir au lundi matin, je fous ma liquette jusqu’au lundi pourne pas avoir à me forcer à m’habiller.Je vais squatter chez mon copain, dans l’Eure, à la Saussaye. Il travaillait à Renault Cléon et il est en retraite depuis longtemps. Onest casaniers. Il y a du jardin à faire. Ça me détend. A la retraite, jevoyagerai : un coup là-bas, un coup à Dieppe. Mais le 2 septembre,je serai sur le parking de l’école ! »
LE MURAvant la rentrée scolaire de 1977 (et les décrets d’application de la loi Haby du 28 décembre 1976), l’école n’était pas mixte dans l’enseignement primaire et secondaire. Ce qui prenait, à l’école Pierre-Curie, la forme d’un mur qui, d’un bloc, séparait la cour de récréation comme le bâtiment par lui-même. De quoi laisser quantité de souvenirs aux anciens élèves, dont certains qui l’appelaient « le mur de la honte ».Arnaud Larchevesque, qui a fréquenté Pierre-Curie de 1973 à 1978, se rappelle que « le mur a été abattu en 1979, juste après que je suis parti ». Marie-Laure Le Cieux précise : « Au passage au CE1, il n’y avait plus de mur. » Jean-Bernard Delamare, né en 1961, compte : « D’après une amie née en 1968, le mur est tombé aux environs de 1975. » Martial Lecomte, arrivé fin avril 1978 à Pierre-Curie, se souvient que le mur était là. « A la récré, on grimpait pour voir de l’autre côté. M. Delamotte donnait un coup de sifflet et on ne devait plus bouger. Il allait vers celui qui avait fait la bêtise et il l’accrochait au mur. »Jean-Bernard Delamare se rappelle : « C’était intrigant. On savait qu’il y avait les filles de l’autre côté. Mes excuses car ce n’estpas élégant, mais on sautait et on crachait par-dessus. On faisait gaffe car parfois on avait la réplique. »Carole et Isabelle Depoilly (nées vers 1965), avouent : « On
communiquait avec les garçons en envoyant un caillou avec un petit mot par-dessus le mur. Ou on se faisait la courte échelle pour voir les garçons au-dessus du mur. Mais de toute façon, on se voyait à l’extérieur ! » Bruno Le Haranger (à Pierre-Curie de 1968 à 1973) sourit : « On regardait les filles au-dessus du mur. Elles étaient toutes amoureuses de moi ! » Philippe Bonhomme, né en 1954, souligne : « Le mur ne nous gênait pas, on se voyait au caté. Les plus grands sautaient pour voir par-dessus. Il faisait environ 1,60 m de hauteur, il empêchait la mixité. » Sylvie Lefebvre (Dubos), née en 1958, relève, elle : « Et le fameux mur : on se mettait à quatre pattes pour qu’une copine nous monte sur le dos pour crapahuter, histoire de regarder, de ricaner. Dans la cour des garçons, on faisait coucou, on envoyait des bisous. »Côté instit, le souvenir est bien prégnant aussi… Pierre Larchevesque : « Quand c’était non-mixte, j’avais interdiction de passer dans le couloir des classes de filles lorsque je traversais l’école. Pourtant c’est stimulant les filles : ça travaille mieux. »Sandrine Bellevallée n’en fait pas une affaire : « J’étais à Pierre-Curie de 1971 à 1980 avec une première année mixte, sans problème. »
LA DISCIPLINEArnaud Larchevesque, fils de l’indétrônable directeur et maître deCE2 Pierre Larchevesque, témoigne : « Pour moi, l’attitude de mon père envers moi quand j’ai été dans sa classe, c’était anti-pédagogique, une erreur à ne pas faire ! Dans la classe, il me mettait à un bureau seul près du sien pour me dissocier de la classe. Quand je revois des personnes de mon âge, ils se disent surpris que j’aie été à un bureau seul. Je me prenais des tartes dans le nez de temps en temps, dans son souci d’être dur avec moi,contre toute logique d’intégration. » Par rapport à son fils, Pierre Larchevesque reconnaît : « J’ai certainement été plus dur avec lui qu’avec les autres élèves. J’ai toujours été exigeant. J’en ai fait des conneries. J’ai donné une gifleà Guérino... Si je le voyais aujourd’hui, je lui dirais : “J’espère que tu me pardonnes.” On est des êtres humains. Les châtiments corporels, c’était interdit et j’ai parfois signalé mes soupçons de violences sexuelles à la psychologue, après avoir remarqué des comportements. »
Cécile Minart, actuelle enseignante de Pierre-Curie en « CE2-CM1,CP, et CE2 depuis huit ans » a elle aussi au ses « deux garçons dans cette école : j’ai voulu avoir mes enfants dans ma classe. A 8 h 30 j’étais la maîtresse et à 16 h 30 la maman. J’ai considéré pareil mes élèves et mes enfants. »Les autres enseignants ne sont pas en reste : « La mère Delarue, c’était une chipie, elle hurlait. Quand on était punis, on avait parfoisdes coups de règle au bout des doigts. » Jean-Claude Gillard acquiesce : « Elle était écarlate quand elle gueulait ! Mais moi, j’ai été traumatisé par Mme Delamotte. » Sylvie Lefebvre (Dubos) : « Je me rappelle surtout de Mme Sénécal. Elle me faisait peur. Elle était gentille mais stricte, surtout en CP où on est encore petit. C’était un personnage. Tout le monde la craignait. J’ai eu peu de punitions, mais c’était des coups de règle sur les doigts et des tirages d’oreilles. C’était comme ça, on disait pas merci mais presque. » Marcelle Freullet, tante de Marie-Laure, se souvient « de Mme Poisson qui était très sévère mais juste et qui nous apprenait bien. Les punitions, c’était aller au coin, des coups de règle sur les doigts, copier des lignes… » Marie-Josée Canehan a de bons souvenirs de ses enseignants
« sauf Mme Sénécal en CP, le seul mauvais souvenir. Elle frappait, giflait… Mon père lui faisait des bouquets de fleurs. J’étais très timide, je ne parlais pas et ne participais pas, ça me bloquait ».Anne Boué se rappelle : « En rang, on était par ordre alphabétique, j’étais toujours au début. On respectait les instits, on se levait quand la directrice entrait, en silence. On entrait en rangs dans la classe, ça paraissait normal. Etant petite-fille de l’ancienne directrice, j’étais en ligne de mire. » Jean-Jacques Olivares : « Dans la classe de Mme Delarue, on accrochait les cahiers d’écriture en exemple. Mon père était typographe, je m’appliquais. » Stéphane Royé : « Les punitions, c’était des tours de cour, sans avoir le droit de parler. Arrivés en classe, on était immobiles, silencieux, debout à côté de nos bureaux jusqu’à ce qu’on nous disede nous asseoir. On ne souffrait pas. » Jean-Bernard Delamare : « On était tous en rangs deux par deuxavec les porte-manteaux à côté, il n’y en avait pas un qui mouftait. » Sophie Cauret : « On ne faisait pas de bêtise à cet âge-là. Ou alors je ne me faisais pas prendre quand je parlais en classe. Sinon on avait des lignes à copier. »Colette Carbonnier en rit, à présent : « Quand on était punie, on
devait faire des tours de cour avec les mains dans le dos, avec une page épinglée dans le dos. Avec Mme Sénécal, c’était des tours de cour avec les mains dans le dos. » Esther Massere y participait à son corps défendant : « Quand on était punies, c’était des tours de cour pendant la récré. J’étais la surveillante, je devais contrôler, comme un chef, pendant les tours de cour. »Marie-Laure Le Cieux en a souffert : « La maîtresse de CP m’a fait des misères. Il fallait écrire à l’encre et à la plume et j’étais gauchère : je faisais des traces sur ma feuille. Elle faisait voir la feuille à tous les élèves puis la déchirait. Je devais recopier pendantla récré : je n’ai jamais eu de récré le matin ! On se prenait des baffes par M. Delamotte et personne ne bronchait. »Nicole Demaules, elle aussi : « Quand on était punis, on allait au coin. Ou on copiait des lignes : “Je ne dois pas…” Une fois, M. Delamotte m’a accrochée au porte-manteau. Quand j’étais énervée,on me faisait faire des tours de cour. M. Delamotte, lui, il a su bien me prendre. Les punitions c’était des coups de règle sur les doigts et en rentrant à la maison, c’était la même ! Mme Sénécal mettait des coups de stylo sur la tête, tirait les oreilles… »Laurence Lefebvre (Hamel) confirme : « On avait des coups de règle ou des coups d’ardoise. Pour copier ses punitions, mon frère
collait trois stylos ensemble mais ça n’a jamais vraiment bien marché. Tous les trimestres (ou tous les mois), il y avait la croix d’honneur pour la meilleure élève de la classe. Ça reprenait les notes, mais aussi le comportement. Moi, je ne l’ai jamais eue, j’étais très moyenne. Il y avait beaucoup de discipline, c’était l’habitude. Tous les matins, il y avait la morale. Il y avait du respect. Souvent c’était l’humiliation totale. La maîtresse nous regardait les ongles aussi. » Michèle Freullet, 85 ans, tante de Marie-Laure, détestait les maths : « Je ne voulais pas faire les problèmes. J’avais des punitions à copier. J’ai été privée de voyage de fin d’année aux châteaux de la Loire. Pour le dernier voyage, j’ai fait ce qu’il fallait pour y aller. » Micheline André, tante de Maire-Laure, se souvient de « Mme Sénécal, qui m’a battue parce que j’étais sortie de l’école : elle avait arraché ma blouse. Les instits étaient formidables mais nous élevaient strictement. »Brigitte Bouvier en a encore des frissons : « Pour aller à l’école avec Mme Sénécal, j’ai été malade toute l’année. Elle avait mis de
la marie-rose (contre les poux) à une fille, au milieu de la cour ; sa mère avait 12 enfants, elle portait des chaussures de plage en pleinhiver et effaçait ses cahiers de brouillon pour les réutiliser. La pauvre avait fait pipi dans sa robe, de peur. » N’empêche : « On mettait du sucre ou de la craie dans les encriers pour faire des pâtés. »Philippe Bonhomme, du côté garçons : « Les punitions pleuvaient, c’était des lignes. Une fois, j’avais des godillots à crans, neufs, qui se délaçaient tout le temps. La femme du directeur les a pris et en a balancé un par la fenêtre : le directeur l’a vu tomber dans la cour. J’ai passé le midi puni, à genoux sur une règle. Une fois, Vernet, un instit de CM2, a pris une baffe devant ses élèves par une mère d’élève (Michel Sellier) : ça aurait pu être dans La Vigie ! »Autres temps, autres mœurs… Clément Gillard a « connu le scotchsur la bouche quand on bavardait. J’ai connu les bons points, images, grandes images ». Nathalie Lattelais : « Une fois, on a demandé un rendez-vous avec M. Dossier car il tapait sur la tête de Paul (né en 1992) quand il ne comprenait pas. C’était difficile nerveusement pour lui et il
avait du mal à le lui faire comprendre. »Parfois, il y avait des bagarres. Jean-Bernard Delamare raconte :« Les chamailleries avec les camarades, avec Lionel par exemple (qui est décédé) mais on est restés en bons termes. On s’était provoqués, j’avais réussi à avoir le dessus, il était vexé. Mes fans lui tenaient les bras. Il s’est relevé et m’a mis un direct dans le nez.J’ai encore la sensation de douleur qui irradie le visage. Je n’ai pas saigné mais ça marque. M. Larchevesque avait tout vu : il nous a giflés tous les deux et nous a punis, ça nous a ressoudés. » Il poursuit : « En sciences nat, c’était la leçon de choses : en classe de perfectionnement, avec l’éducateur Cantraine, je devais réciter la composition du sang (caillots, sérum, globules) J’étais tellement traumatisé que je n’ai pas pu me rappeler de tout. Aux cours du soir, avec Cantraine et Radoux, un m’a fait rire pendant la leçon surl’oeuf : si on mange un œuf, attention qu’il n’y ait pas un poussin dedans, sinon le ventre fait cuicui. M. Martine m’a chopé par le col :fallait pas rire pendant les cours du soir ! J’ai été giflé et mis au coin. »Evode Molina, né en 1954 : “J’étais indiscipliné, collé tous les samedis. »Bruno Levasseur philosophe : « C’était de bons enseignants, bien
structurés. Aujourd’hui ça fait un peu vieux con mais jusqu’en CE2 j’aimais les cours de morale. On se marrait à évoquer ce qu’il ne faut pas faire. Et puis en 1968, un matin on nous a dit qu’il n’y avait plus le droit de faire des cours de morale : « Ça incombe à vos parents. » Les copains nous défendaient contre les méchants, mais on a tous été le souffre-douleur de quelqu’un. Pour se venger,on était cons, aussi, avec les plus jeunes. Je faisais la route avec mon ami Olivier Bellamy. Côté châtiments corporels, on se prenait des tartes dans la tronche, des tractions d’oreilles, des coups de phalanges sur le crâne, des coups de pied au cul, des coups de règle sur les doigts. » Avec, parfois, certaines justifications : « En CM1, on était dans le bâtiment d’à côté. Il y avait le chauffage central. Un fois, en rangs avant de sortir, j’ai forcé la vis de purge du radiateur et j’ai vu que l’eau coulait. Le lendemain, ça avait inondé les couloirs, avec les boues. Il a fallu toute la matinée pour éponger. » La discipline ne s’arrêtait pas à la grille de l’école : « Onachetait au café de l’Église des P4, paquets de cigarettes légères qu’on crapotait dans le vieux cimetière, à 10 ans à peine. Mme Delamotte nous avait chopés et dénoncés à M. Delamotte, le directeur. J’ai copié cent fois « Je ne fumerai pas. » »
L’humour avait aussi sa place, d’une certaine manière : Bruno Le Haranger témoigne : « Une fois,M. Larchevesque m’a demandé d’aller chercher la clé de sol. J’ai fait toutes les classes, on a bien rigolé. » Bruno Levasseur, lui, se rappelle : « M. Larchevesque m’avait demandé de mesurer la largeur de la classe avec la grande règle. »Hélène Piquet, enseignante en retraite depuis quelques années, avance : « J’étais fatiguée, à la fin, mais j’ai adoré mon métier jusqu’au bout. J’ai toutes les photos de classe depuis 2006, ainsi que celles des groupes d’enseignants. Je suis toujours venue ici dans une bonne ambiance… même si je ne rentre pas dans le moule. » D’ailleurs, « crier, tirer les oreilles, ne pas respecter les gamins, ça ne passe plus. J’ai eu deux directeurs pas simples, puis M. Delacroix, parfait. Avec Mme Piette et Mme Minart, on s’est bien entendues et notre moteur, c’était notre passion.Aujourd’hui, ça a changé. Mais il ne faut pas être pessimiste : c’est autre chose. Les temps changent, les gens ne sont plus comme avant et les relations de travail ne sont plus les mêmes. Je n’ai jamais été sévère mais cool et les enfants m’ont toujours
respectée. J’étais plus dans la discussion : on établissait un contrat en début d’année, au CP. On n’élève plus les enfants pareil non plus. On ne leur demande plus d’être de bons petits soldats, mais on leur enseigne d’avoir un regard critique, de ne pas prendre les choses telles quelles et de donner leur avis. C’est un autre regard sur le monde. » Et pourtant, « moi ? J’étais la pire élève qu’on puisse avoir ! J’ai redoublé mon CM1, ma 6e, ma 5e. Je faisais des tours de cour de récré avec “Souillon” écrit dans mon dos, je n’arrivais pas à écrire à la plume. Mais ça m’a donné la hargne de devenir enseignante. Et je me disais : quand je serai enseignante, je ne ferai pas comme ça. »Les relations entre enseignants n’ont pas toujours coulé de source. Francine Bauchet (ex-enseignante et directrice), témoigne : « Je me suis à peu près bien entendue avec Pierre Larchevesque (rires).Mais il n’était pas facile à manœuvrer ; il n’aime pas se mélanger aux autres. On ne lui faisait pas faire ce dont il n’avait pas envie. Quoi ? Tu as fait pleurer Mme Jouen ? Tu as honte, j’espère ! »Et puis parfois, c’est l’évidence. Nicolas Buquet (ex-directeur) livre un récit empreint d’émotion : « J’ai travaillé 10 ans avec certaines collègues de Pierre-Curie. On a mis en place tout pour la construction de l’enfant. J’ai toujours considéré que l’école, ce n’estpas seulement lire, écrire, compter : ce sont les futurs citoyens responsables et capables de choisir que l’on forme. Parfois, je repasse, je déjeune avec les collègues à l’extérieur. C’est la taille de l’école qui fait que les collègues ont partagé quelques années une cohérence dans la façon d’enseigner, de gérer les parents et les familles. Quand je travaillais ici, je n’étais pas convaincu de venir au boulot : on venait pour retrouver les enfants, j’ai jamais eu
l’impression de venir bosser. Il y a peu, je suis allé à l’inhumation d’un ancien élève, décédé à 22 ans : ses copains d’école étaient là, venus de l’école aéronautique de Toulouse notamment. Ils disaient qu’ayant grandi ensemble, ils voulaient être ensemble le jour J, jusqu’au bout. Les valeurs évoluent avec la société mais restent la fraternité, l’écoute, le dialogue qui fait qu’il n’y a plus de différences. Ici, j’ai l’impression qu’on a toujours eu de l’ambition pour tous nos élèves, en fonction de leurs capacités, de leurs dispositions qui ne sont pas les mêmes pour tout le monde. L’ambition, c’est la considération, une forme de dignité. Aujourd’huiles gens ne se sentent plus considérés, c’est ça le problème. D’ailleurs, lors des réunions de rentrée, je demandais à tout le monde de venir, aussi les personnes qui faisaient le ménage, la cuisine… Je leur disais : les parents doivent vous voir, vous faites partie de l’équipe éducative. Comme une chaîne de vélo : quand unmaillon pète, on ne peut plus avancer. »Mme Delamotte regrette : « Quand il y avait des bêtises, on faisait la morale : une phrase écrite au tableau qu’on recopiait dansson cahier, avec la date. Je donnais des devoirs et les punitions,
c’était des lignes à copier, des verbes à conjuguer. Les tours de cour, j’ai honte d’avoir fait ça. Le soir, ça bardait encore à la maison : on ne le disait pas mais certains enfants se prenaient de vraies raclées. »Marie-Laure Le Cieux rappelle une anecdote : « Mme Delamotte, elle, avait l’accent du Midi. Quand je lui demandais pour aller aux toilettes, elle me demandait “C’est urgent ?” Je lui répondais non car je ne comprenais pas ce qu’elle disait, avec son accent. » Mme Delamotte explique : « J’ai toujours voulu faire instit, mais je n’ai pas pu dans la région de Tarbes. Pour la Normandie, ça a été OK car l’inspecteur d’académie était originaire de la région d’Albi : beaucoup de filles du Tarn sont arrivées en Seine-Maritime. Des remplaçantes, pas passées par l’École normale, mais avec un devoirde pédagogie à faire sur le tas. On s’est rencontrés comme ça avec mon mari et ça s’est enchaîné, j’ai perdu un peu l’accent. En maternelle, il y avait une instit des Pyrénées, une au CP de Toulouse, une au CE1 de Haute-Garonne et après, moi : les enfantslisaient avec l’accent du Midi. Ça m’a frappée ! »
C’ÉTAIT MIEUX AVANT ? Pour Arnaud Larchevesque, le fils de l’indétrônable directeur Pierre Larchevesque, « c’était une période heureuse, dans l’esprit de l’Éducation nationale qui voulait dire quelque chose, avec des enseignements intéressants. Je n’ai pas souvenir de brimade particulière, ni de chose imposée désagréable. Maintenant, tout part en sucette ; ce n’est pas la même ambiance. » Alors oui, « on était en blouse, mais avec l’instruction civique on avait un minimumde respect, de savoir-vivre. Mes enfants sont allés à Prévert, avec un instit qui à la réunion parents-profs est arrivé avec un jean trouéet des godasses dégueulasses ! Là c’est foutu d’avance. »Colette Carbonnier (ancienne élève des années 60) se rappelle avec émotion : « Le tableau d’honneur, c’était les prix de fin d’année : premier classement, deuxième classement… Ma mère en a gardé beaucoup de mon frère, un seulement de moi. On avait desporte-plumes et des encriers. » Autre symbole mémorable : « La croix d’honneur : un ruban avec un médaillon qu’on accrochait à la blouse. La première fois que je j’ai eue, j’ai une photo. » Et aussi, souvenir qui réchauffe : « Le matin on buvait du lait chaud offert par un ministre de De Gaulle, à la récré. J’adorais. » Moins drôle : « Les WC, c’était au fond de la cour dans un petit cabanon avec desportes en bois. » Mais aussi : « On était placées selon le classement. Moi, comme j’étais très myope, j’étais au premier rang.On avait eu une visite médicale avec le Dr Mme Fauvel sous le préau. L’instit avait demandé au médecin si j’y voyais quelque chose, et avait mis un mot pour mes parents… C’était assez
stigmatisant, d’être au premier rang. »Les sœurs Isabelle et Carole Depoilly « en rentrant de l’école, c’était ménage, entretien, pelouse. On achetait des bonbons à la petite épicerie qui faisait le coin avant d’arriver à l’école. C’était Dubuc, à notre époque. Il y en avait, des petits commerces, sur toute la côte de Neuville : La Ruche, le Petit Cochon, Dubuc, en face de la garderie, Codec, Tampico avec le bal où nos parents dansaient et la station service. »Marie-Laure Le Cieux, comme ses camarades, « chacun son tour,on lavait le tableau. Ceux qui lisaient bien étaient placés d’un côté, ceux qui ne lisaient pas bien étaient placés de l’autre côté : c’est comme ça que M. Larchevesque nous plaçait. Le soir, il faisait les cours du soir jusqu’à 18 h. On goûtait, puis on faisait les devoirs. Il y a des chansons que j’ai apprises (Le Petit Âne gris, Hugues Aufray…), je m’en rappelle encore ! » Et... « les WC (à la turque) étaient dehors, le long du mur. » Laurence Lefebvre (Hamel) avait « des bons points, des images. En maternelle, on allait à la vieille école Pierre-Curie, derrière l’ancienne crèche. En CM1, c’était à côté de l’école maternelle
(attenant à l’école primaire, aujourd’hui c’est une maison) avec le poêle à bois et Melle Rousseau. J’aimais les chants, les spectacles de fin d’année avec les danses. Avant les vacances, on cirait les bureaux, on devait amener un chiffon. Avec l’encrier, on avait les doigts pleins d’encre, malgré les buvards roses. »Bruno Le Haranger promet : « Les cours du soir, ce n’était pas une punition : c’était pour ceux dont les parents travaillaient. »Esther Massere revoit encore « l’estrade avec le maire adjoint, quifaisait l’appel pour remettre les prix. Et l’ardoise levée pour le calculmental. Avec la remplaçante, je ne voulais plus aller à l’école. La Cigale et la fourmi, je la connais encore ; des fois, je récite. »Brigitte Bouvier révèle en quoi consiste son trésor : « J’ai toujours mon porte-plume, mon ardoise, mon porte-mine, la bouteille d’encre avec le petit bouchon », entre autres ! « La maîtresse nous regardait les ongles, les oreilles, le matin. Pour les remises de prix, on sortait le fer à friser et la belle robe. » En revanche, « les maths modernes nous ont perdues ! Et puis après ily a eu les chagrins d’amour alors c’était foutu. On allait voir les mobylettes au Puits-Salé. Mais on avait une bonne éducation :
bonjour, merci, au revoir. » Pour elle, au contraire des copines, « lebroc de lait du matin, je le vomissais. »Philippe Bonhomme : « La pendule de chaque côté sonnait à chaque récré. Il y avait un terrain de sport avec un grand portique. On buvait du lait le matin. On travaillait jusqu’au samedi midi et le soir, après 16 h 30, il y avait les cours du soir jusqu’à 18 h. J’étais enfant de chœur, je servais la messe le matin en semaine à la messe de 7 h. »Patricia Sauvage (Boudard) rappelle : « Il y avait la morale le matin, avec une phrase au tableau. »Jean-Claude Gillard poursuit : « L’appel : les noms de famille pour les garçons, les prénoms et les noms pour les filles. »Son fils, Clément Gillard faisait, « le matin en maternelle, du sport dans la grande salle. Il y avait le dortoir au milieu et dehors, une cabane avec les vélos, les tricycles. On avait déjà des jeux dehors : des cubes de couleurs… »Bruno Levasseur l’assure : « En 6e, on arrivait sans lacune de lecture, avec un bon niveau de culture générale, la bonne orthographe est restée : on retenait ! Ça fait un peu vieux schnock de dire ça aujourd’hui. »
Micheline André prend son calendrier : « A l’époque, on finissait le 14 juillet par la remise des prix et on était en vacances jusqu’au 1er octobre. On mettait des chaussons pour ne pas salir. On cirait nos bureaux en fin d’année. On était trois filles, elle nous habillait toutes les trois. Après la complémentaire pour filles à l’école Fénelon rue Notre-Dame (pour les garçons c’était à Desceliers sur la plage), j’ai eu le brevet et le CAP de sténo-dactylo la même année et j’ai travaillé dès 1959. »Monique Carral (Deneuve) faisait « une dictée tous les jours, de l’instruction civique tous les jours avec la phrase de morale. Ça reste : bien se conduire, être correct dans la vie. L’école primaire c’est essentiel avec de bons maîtres, si on apprend les règles tous les jours sans être contrainte, comme aller voter. Ça donne des règles de vie. »Stéphane Royé a trouvé ses enseignants « géniaux. Mme Delarue était plus sévère, de l’ancienne génération… En fait, stricte mais pas sévère. J’ai eu la chance d’avoir d’excellents maîtres. Si tous les enfants avaient des instits comme ça, qui donnent envie
d’apprendre… Dans mon souvenir, on avait le respect des maîtres d’école, on n’était pas tyrannisés mais on se tenait. »Clément Gillard a « connu le samedi matin à l’école. La cour actuelle aurait posé problème car on jouait aux billes, donc il fallait des trous. On jouait aussi aux Pogues, on avait des cagoules, des Kways banane… Mireille Gillard, sa maman : « A Noël, il y avait une distribution decadeaux pendant la sieste, en maternelle. On a proposé de faire passer le Père Noël et on a prêté le costume pendant des années. »Sophie Cauret compte : « On était une petite trentaine d’élèves par classe, c’était normal. Mais une trentaine avant, c’était pas pareil. »Pour Cécile Minart, enseignante actuelle à Pierre-Curie, « depuis des années, il y a eu Hélène Piquet, Caroline Piette, puis Amélie Aublé, la petite princesse à l’air pas facile. On a vu défiler plusieurs directeurs mais on est restées soudées. Nous on n’a pas changé, onest restées pareilles. Avec Nicolas Buquet pendant huit à neuf ans,
on a eu un esprit familial de bienveillance, en tirant les enfants versle haut, pas vers le bas. Notre attention pour les enfants était la même : du poisson rouge au génie. On voit la différence avec les écrans : ils ont vraiment l’habitude de zapper, du mal à rester une demi-heure sur la même chose. On sent la différence de milieu, ici il y a une vraie mixité sociale. On tire vers le haut en gardant le cadre, tous le même du CP au CM2. Une vraie équipe, c’est essentiel. »Amélie Aublé conclut : « Maintenant, ce sont les parents qui réclament. Et ce ne sont plus les enfants les plus pénibles. Je suis arrivée il y a neuf ans, avec 28 élèves, c’était beaucoup trop. J’en avais 15 l’an dernier et 19 cette année. A plus de 25 ça ne va pas, on ne peut pas aider les enfants en difficulté. »
LES COPAINSArnaud Larchevesque apprécie « de se retrouver entre anciens élèves. Quand le temps a passé – j’ai 58 ans- il n’y a plus de scrupule, chacun a fait sa vie. Comme avec Sylvain Mathieu, qui s’occupe des blockhaus : on se reconnaît, on discute comme si on s’était vus la veille. C’est un vrai lien d’amitié qui s’est créé à l’école. Avec les copains d’école, il n’y a plus de classes sociales. »Sandrine Bellevallée « côtoie toujours d’anciens élèves de ma classe qui habitent le Nord maintenant, via Facebook. Je suis aide àdomicile et certains de mes collègues étaient dans ma classe. Je jouais au foot, j’étais beaucoup avec les garçons. Une fois je me suis tordu la cheville, à Noël, et j’ai été trois semaines dans le plâtre. »Laurence Lefebvre (Hamel) se réjouit : « Mes anciens copains d’école sont devenus mes voisins. Colette a revu mon frère (Jean-Pierre, de 1955) à la ferme. J’étais dans la même classe que Mireille Gillard (de 1957) jusqu’en CM1. »Brigitte Bouvier, elle, a revu ses copines « par hasard au supermarché. »
Esther Massere confirme : « On reconnaît les filles : on a gardé les mêmes traits. J’ai retrouvé Patricia à Lidl, elle m’a reconnue aussi et on a refait le monde. Avec Brigitte, on a renoué, on se revoit depuis deux ou trois ans. On se parle toujours dans les magasins. »Philippe Bonhomme : « Avec les amis du secteur, on allait les uns chez les autres, ce n’était pas aussi scindé que maintenant. On se côtoyait au sport, au caté… »Isabelle Lefebvre (Lechevalier) : « Parmi mes anciens camarades, je revois toujours Colette, qui n’était pas de la même année que moi. »Clément Gillard ne voit « plus beaucoup mes anciens camarades mais si c’était le cas, on se parlerait comme la veille, c’est sûr. »Jean-Bernard Delamare a retrouvé « Jean-Claude Gillard. On n’a pas le même âge mais on s’est reconnus. Jean-Claude, sur Facebook, c’est Radio Nostalgie ! Maintenant, il y a le plaisir d’être
là. Qu’est-ce que je viens foutre ici ? Je ne sais pas mais c’est amusant quand même. Il y a bien eu des chamailleries avec les camarades, avec Lionel par exemple (qui est décédé) mais on est restés en bons termes. On s’était provoqués, j’avais réussi à avoir le dessus, il était vexé. Mes fans lui tenaient les bras. Il s’est relevéet m’a mis un direct dans le nez. J’ai encore la sensation de douleurqui irradie le visage. Je n’ai pas saigné mais ça marque. M. Larchevesque avait tout vu : il nous a giflés tous les deux et nous apunis, ça nous a ressoudés. En sciences nat, c’était la leçon de choses : en classe de perfectionnement, avec l’éducateur Cantraine, je devais réciter la composition du sang (caillots, sérum, globules) J’étais tellement traumatisé que je n’ai pas pu me rappeler de tout. Aux cours du soir, avec Cantraine et Radoux, un m’a fait rire pendant la leçon surl’œuf : si on mange un œuf, attention qu’il n’y ait pas un poussin dedans, sinon le ventre fait cui-cui. M. Martine m’a chopé par le col : fallait pas rire pendant les cours du soir ! J’ai été giflé et mis au coin. »
Bruno Levasseur : « Les copains nous défendaient contre les méchants, mais on a tous été le souffre-douleur de quelqu’un. Pourse venger, on était cons, aussi, avec les plus jeunes. Je faisais la route avec mon ami Olivier Bellamy. On achetait au café de l’Église des P4, paquets de cigarettes légèresqu’on crapotait dans le vieux cimetière, à 10 ans à peine. Mme Delamotte nous avait chopés et dénoncés à M. Delamotte, le directeur. J’ai copié cent fois « Je ne fumerai pas. »Olivier Bellamy est garagiste à Saint-Nicolas d’Aliermont, on se reconnaît toujours. Je me rappelle mes bons camarades : Didier, Franck, Patrick, les deux Philippe dont un est instit en Outre-Mer, jel’ai retrouvé via Facebook et Trombi.com. »Martial Lecomte raconte la belle histoire romantique des écoles Curie… « Avec Pascale Rocquigny, on s’est connus à l’école Pierre-Curie, on s’est perdus de vue et on s’est retrouvés et mariés en secondes noces. On était ensemble dans la même école, ici, sans se
connaître : J’ai mis un message sur Copains d’avant pour retrouver des amis. On a suivi le même parcours en parallèle, puis on s’est retrouvés lorsque son père est décédé d’une crise cardiaque. Maintenant, on est ensemble depuis quinze ans. Pascale était copine avec ma sœur Marie-Laure. On retrouve d’anciens élèves de Curie un peu partout.En CM2, on est allés en voyage scolaire à Abondance, c’était la bonne année. On a noué des liens avec tout le monde, y compris les accompagnants et ça a fait des souvenirs mémorables pour toutle monde.On faisait du foot sur le terrain d’à côté, j’étais toujours fourré là-bas. Je ne quittais pas Pierre-Curie de la semaine. »
LES VOYAGES ET FÊTES DE L’ÉCOLEAnne Boué a fait « un voyage de fin d’année en Hollande. »Sandrine Bellevallée faisait « des sorties, des voyages. On est allés à Paris et j’ai vu Francis Perrin au théâtre, et le château de Versailles. »Andrea Hédin, 12 ans, promet : « Je me souviendrai des spectacles. Celui de CM1, c’était sur l’écologie.”Sophie Lecomte se souvient « de la classe de neige à Abondance, de Brighton. J’étais en CM2 en 1998, on avait fait une sortie à Bagatelle. »Pour Marie-Laure Le Cieux, c’était « ici, dans le préau, qu’avant ily avait le ciné-club. Avant la récré, on dépliait un écran avec un appareil de projection. »Marcelle Freullet s’occupait « de la coopérative pour les voyages. J’étais responsable de la bibliothèque où les emprunts étaient payant mais ne coûtaient presque rien, et permettait de financer le voyage de fin d’année. »
Micheline André, née en 1942, vendait « des timbres pour la coopérative et le voyage de fin d’année. Je suis allée trois jours auxchâteaux de la Loire, trois jours au Luxembourg, trois jours à Paris.A l’époque il n’y avait pas de voiture, on prenait le car, on quittait nos parents. On allait en voyage scolaire avec l’école Michelet. Le mari de Mme Pérignon filmait et nous organisait une séance de cinéma en rentrant. Il y a eu un Connaissance de Dieppe aux éditions Bertout avec les photos de M. Pérignon. Sa veuve a fait une expo au CAC il y a dix ou quinze ans. Leur fils c’est Sylvain Pérignon, leur fille Mireille et il y avait une autre sœur. »Nathalie Lattelais aimait la fin d’année : « M. Noël faisait des tours de magie au spectacle de fin d’année. Une fois, pour une cousinade où chacun devait faire un petit spectacle, mon fils Paul a demandé à M. Noël de lui prêter ses objets de magie (chapeau, sac…) : il les lui a prêtés avec confiance et mon fils était ravi.Le spectacle de fin d’année avait lieu dans cette salle avec une estrade et des chaises jusqu’au fond et les coulisses après la porte. Il y avait des chants, des danses, construits par les élèves eux-mêmes. Beaucoup de chants avec l’école de musique, et des tours
de magie. Une belle ambiance, avec des familles contentes de se retrouver. Ils sont allés en sortie scolaire à Eurodisney, au parc Astérix, à Samara. »Martial Lecomte, en CM2, est allé « en voyage scolaire à Abondance, c’était la bonne année. On a noué des liens avec tout lemonde, y compris les accompagnants et ça a fait des souvenirs mémorables pour tout le monde. On était sept enfants à la maison, alors on avait des difficultés financières mais mes parents ont fait l’effort pour que je puisse y participer. »
Amélie Aublé a été élève à Curie avant d’y enseigner : « Il y a eu la classe de neige à Abondance avec Mme Jouen en CM1. Pour la coopé, on vendait du saumon de Davigel à pris coûtant. Un monsieur venait nous faire faire du théâtre, sur l’estrade sous le préau. » Jean-Claude Gillard fournissait « les orchidées pour financer les classes de neige ».Cécile Minart, une de ses collègues actuelles, ajoute : « Tous les spectacles sous le préau étaient une catastrophe, il y avait beaucoup de bruit et les parents derrière ne voyaient rien. »David Raillot (président des Citoyens du Pollet ) : « L’Amicale laïque de Neuville-lès-Dieppe (ALND) a joué du théâtre pendant 50 ans à la CCI avec les enfants en 1e partie. On a tous joué ici : c’est comme ça que j’ai rencontré ma femme ! Jacques Royon a continuédu temps de Mme Bauchet. Amélie Aublé a fait du théâtre ici avec M. Royon entre 1992 et 1997. Élodie Danjou et Jonathan Danjou faisaient la 1e partie de l’équipe de théâtre quand il y avait une représentation le soir. C’était plein ici, avec le rideau, les coulisses, la souffleuse, l’éclairagiste Bernard Brunel et sa femme Jeanne au fond, qui rigolait et faisait rire toute la salle ! J’ai encore des vidéos
des enfants. »Sophie Cauret, née en 1979 : « Ben Collier est venu à l’école ici, ainsi que ses sœurs. Il habitait Puys. Son papa est décédé maintenant mais il faisait du jazz, il venait jouer pour la remise des prix en fin d’année. »
LES APPRENTISSAGESSandrine Bellevallée trouve que « c’était une bonne école, on était contents d’y aller. J’avais des difficultés mais les maîtres et lesmaîtresses m’ont aidée. On allait à la piscine, j’ai appris à nager. »Colette Carbonnier était « forte en maths ; mes copines, non. J’aimais beaucoup les sciences et l’histoire. »Carole et Isabelle Depoilly allaient « à la piscine à pied. »Marie-Laure Le Cieux : « Il y a des chansons que j’ai apprises (LePetit Âne gris, Hugues Aufray…), je m’en rappelle encore. »Nicole Demaules : « Avec M. Larchevesque, c’était une dictée tous les jours. »
Laurence Lefebvre (Hamel) ajoute : « Avec M. Larchevesque, c’était le calcul mental sur l’ardoise. » Esther Massere précise : « Et l’ardoise levée pour le calcul mental. Avec la remplaçante, je ne voulais plus aller à l’école. La Cigale et la fourmi, je la connais encore ; des fois, je récite. »Philippe Bonhomme se souvient : « Les premiers livres de lecture, c’était Papa a un ami Pipo… »Clément Gillard estime : « Ce que faisait M. Larchevesque à l’époque serait exclu aujourd’hui : goutte d’essence avec une allumette, pied de biche pour expliquer comment ça marche… J’aimais beaucoup à l’ancienne avec la blouse bleue. En CM2, une prof venait nous faire faire de l’anglais, c’était Mme Durang-Bageux, prof à Dumas. Et en CM2, un monsieur venait nous faire faire de la musique et nous faire chanter. »Micheline André se torture l’esprit : « Au certif, le problème comportait un problème sur 12 points et un autre exercice sur 8. C’était un calcul sur des actions et des obligations à la Caisse
d’épargne. A la couture, j’ai tout raté : je me suis piquée et il y avait du sang sur la pièce à rapiécer. Ma mère qui était couturière me faisait mes exercices. »Nathalie Lattelais est consciente d’avoir testé une méthode originale : « Mon fils plus jeune a été dans une classe où ils étaient 15 toute sa scolarité exemplaire, il faisait les apprentissages tout seul. Je n’avais pas besoin de m’en occuper, ses devoirs étaient impeccables. Le maître, M. Noël, me disait que c’était sa meilleure année. M. Noël avait une méthode de noter sur le cahier le parcours pour aller au bout de chaque acquisition, ce n’était pas obligé. Il s’appuyait sur les parents et mon mari s’est beaucoup investi là-dedans : cette année-là, il a pris le relais et mon fils a fait des progrès énormes, ça coulait tout seul avec cette méthode géniale. »
Monique Carral (Deneuve) faisait « une dictée tous les jours, de l’instruction civique tous les jours avec la phrase de morale. Ça reste : bien se conduire, être correct dans la vie. L’école primaire c’est essentiel avec de bons maîtres, si on apprend les règles tous les jours sans être contrainte, comme aller voter. Ça donne des règles de vie. »Stéphane Royé écrivait, « du CP au CM2, à la plume, avec une calligraphie de pleins et déliés, avec le buvard. Sinon on déchirait lapage. Très longtemps même au stylo j’ai eu le réflexe des pleins et des déliés. J’ai eu longtemps une écriture appliquée. Le stylo, ça a commencé en 6ème. Le samedi, on faisait le ménage des encriers, des tables, on essuyait le tableau à tour de rôle. J’ai connu l’année où c’est passé du jeudi au mercredi, en CE1 ou CE2. Ici j’ai connu les premiers cours de natation à l’école avec la piscine de Neuville :un bassin d’apprentissage mobile, le BAM. J’ai été le premier à y aller sur le temps scolaire. Après, j’ai fait de la natation à haut niveau et j’en ai fait mon travail.Laurence Royé, sa sœur : « Le calcul mental avec Mme Delamotte, on l’écrivait sur des bulletins de vote Giscard et Mitterrand ! Quand elle claquait sa règle, on levait le stylo. »
Simon Méry, né en 1992, a aimé « la remplaçante de M. Delacroix, quand il s’occupait de la direction ; elle nous faisait faire des expériences avec la lumière et des boules de papier mâché pour expliquer les phases de la lune et c’est comme ça que j’ai compris le fonctionnement du système scolaire. J’ai encore l’image en tête. »Et côté instits ?A la maternelle, l’enseignante Jeanine Kaberseli s’émerveille : « On faisait des comptines, des chansons, de la peinture, de la danse : ça me passionnait, on avait une grande liberté dans les activités. Il y avait beaucoup de jouets. »Francine Bauchet, ex-enseignante, se souvient : « On faisait de petits prix littéraires, avec un auteur qui venait voir les enfants regroupés ce jour-là et qui lui posaient des questions. On en a organisé un à la MJP, une fois. »Mme Delamotte, à son tour, énumère : « Il y avait la lecture – j’aiencore des livres – et les Maths avec le calcul, les tables, les problèmes, et aussi l’histoire, la géo, les sciences naturelles. J’aimais bien la classe, mais j’aimais moins la récitation pour
laquelle je n’étais pas douée : c’est un peu la comédie, il y a quelque chose à ressentir et à montrer. J’aime bien le théâtre, pourtant : j’avais monté une troupe de théâtre en dehors de l’école avec les anciens élèves de l’amicale Pierre-Curie qui organisaient. »Amélie Aublé se souvient : « Le prof d’anglais venait de Dumas pour les CM2. Il y avait un prof de musique avec sa guitare pour nous apprendre des chansons : Armstrong de Nougaro… »
LA FERMETURE DE L’ÉCOLEMorgan Levier-Lhonneur, 12 ans : « Cette école, c’est l’esprit familial, on est tous des frères. On s’entend bien on a grandi ensemble. L’école, c’était un peu ma deuxième maison. » Colette Carbonnier : « Ça me chagrine quand même. »Pierre Larchevesque : « C’est terrible, difficile à supporter. J’ai 82 ans et à l’époque Christian Cuvilliez voulait déjà la fermer pour ymettre un centre d’apprentissage. C’est scandaleux de fermer une petite structure. »Nicole Demaules : « Dans la classe, il y avait une odeur vraie, une odeur de propre ; je la reconnaîtrais. »Isabelle Depoilly : « Elle est restée belle. »Arnaud Larchevesque : « C’est le cœur du vieux Neuville. »Brigitte Bouvier : « J’ai un atelier de deux pièces dans le grenier, c’est le sanctuaire de ma jeunesse : j’ai encore mes toupies, petit chien à roulettes, machine à coudre, poupées, dînettes, baigneurs, voiture téléguidée, cuisinière à bois, savon au mur… C’est un musée ! Le peu qu’on avait, on en avait bavé pour l’avoir alors on le gardait. Il fallait conserver. Mon père, Eugène Bouvier, faisait 45 kilos quand il est rentré de camp de concentration… »Jean-Claude Gillard montre fièrement le nom de l’enseignante stagiaire sur la porte : « Alice Gillard, ma petite-fille. Elle est en formation pour être instit. C’est curieux, on a été à l’école ici, nos garçons aussi et maintenant notre petite-fille est instit ici. »
Pour Mme Delamotte aussi, c’est une histoire de famille : « Mon fils est instit, ma petit-fille est instit en maternelle, mon frère est prof d’histoire à Toulouse. »Isabelle Lefebvre (Lechevalier) : « Ça me fait mal au cœur que l’école ferme. Je ne me suis pas trop posé de questions sur ce que j’avais vécu ici, la mémoire me fait défaut. Mais pour moi, ce n’est que du positif, ces années-là. J’ai de bons souvenirs de mes maîtresses, j’étais une élève bien placée, douée. »Pascale Roquigny : « J’ai de bons souvenirs de l’école en général.C’était un lieu de bonheur avec des livres, un lieu de paix, une façon de me protéger. J’ai toujours aimé apprendre car mon père était violent et ma mère travaillait. Tous les jours, l’école c’était le lieu de tranquillité sans mon père. »Monique Carral (Deneuve) : « Après le certif, j’ai fait le centre d’apprentissage sur la plage, mais ça ne m’intéressais plus : j’avais quitté mon école. »Marie-Josée Canehan : « Ça me fait plein de frissons de revenir, avec les bons et les mauvais souvenirs. Les camarades, la bonne ambiance et les bonnes maîtresses (…). Sinon j’adorais mon école :partir au collège, ça a été dur. J’ai ressenti la même chose entre le collège et le lycée. Ça me fait un peu mal au cœur de savoir que l’école ferme. »Dany Bonhomme : « C’est de l’émotion de revenir ici, la page est tournée depuis que j’y ai vécu ma petite enfance. Je n’ai pas de regret du tout. »Stéphane Royé : « Je suis marqué par beaucoup de souvenirs, de réels bonheurs, j’aimais venir à l’école. »Laurence Royé : « J’ai de bons souvenirs dans le quartier que je
n’ai jamais quitté. Je viens encore faire du sport dans la salle juste à côté, la salle là. Ça me fait de la peine que ça ferme, je suis un peu écœurée. C’était une belle école de secteur, c’est le cœur de la ville, ça la fait vivre. Je voyais les enfants sortir, ça me faisait plaisir. Mon fils a repris notre maison en croyant que ses enfants iraient là. Quand j’ai su que l’école fermait, ça m’a crevé le cœur. »Pour Amélie Aublé, qui a été élève à Curie avant d’y enseigner, c’est bien difficile de se faire à l’idée de la fermeture : « Je n’ai pas trop de souvenirs et mes années d’école, et elles ne m’ont pas inspiré de méthode d’enseignement : ça a un peu changé, heureusement. On a un groupe Messenger avec les anciens de monannée, ils ont différents souvenirs. Je pensais avoir plein de souvenirs, mais en fait non. Je ne réalise pas encore que ça va fermer. On est dans les cartons. Se dire qu’en septembre on ne sera plus là, ça fait quelque chose. »Nathalie Lattelais : « J’ai beaucoup aimé cette école, par rapport à Langevin qui est une très grande école avec beaucoup de classes.C’était difficile, je sentais ma fille perdue, rien qu’à la cantine, elle allait d’ailleurs chez une nounou. J’ai eu l’impression qu’ici, il y avaitune ambiance familiale. La directrice, Mme Jouen, connaissait tous les enfants. Mon fils plus jeune a été dans une classe où ils étaient 15 toute sa scolarité exemplaire, il faisait les apprentissages tout seul. »Céline Nothias, enseignante en maternelle actuelle, raconte : « J'ai passé 11 ans (2013/2024) à l'école maternelle Marie Curie à enseigner en moyenne section. J'y ai donc rencontré de nouvelles collègues, des dizaines d'élèves (même des fratries complètes!) et de parents, donc partagé des moments de la vie de chacun plus ou
moins heureux. Mais ce qui m'aura sans doute le plus marquée durant cette période restera le comptage inattendu de mes élèves le jour de la rentrée de septembre 2023 alors que nous devions être sauvés...Une expérience bien désagréable remplie de surprise, de stress, d'incertitude et de colère à l'égard du système qui allait mettre fin à tout ce que nous avions construit ensemble . Cependant, cela demeurera également mon meilleur souvenir car l'élan instantané de solidarité des parents et des enfants qui a suivi m'a fait chaud au cœur et donné l'impression de réellement faire partie d'une "famille", celle de Marie Curie. Je garderai toujours en mémoire la réactivité , la détermination et l'empathie des parents d'élèves ainsi que les témoignages de gentillesse des élèves de l'école. Nous n'échappons pas à la fermeture cette année, toujours faute d'effectif, mais nous aurons au moins pu préparer sereinement nos petits élèves au changement et les faire participer activement à la suite de leurs aventures scolaires. »
HISTOIRES DE FAMILLESFrançoise Rémy (Thoumyre), née à Neuville, a travaillé jusqu’à 71ans puis a cédé son affaire à son fils. « Je viens tous les jours porter Nico, mon petit-fils à l’école Pierre-Curie. Je ne me rappelle plus de l’école d’avant. J’ai été à Paul-Bert puis je suis arrivée ici encours d’année. J’ai eu mon certificat d’études ici en 1964. J’ai eu Mme Sénécal, Mme Phalempin... »Anne Boué est « arrivée en septembre 1966, jusqu’en juin 1971. Étant petite-fille de l’ancienne directrice, j’étais en ligne de mire. »Colette Carbonnier (ancienne élève des années 60) : « Le tableaud’honneur, c’était les prix de fin d’année : premier classement, deuxième classement… Ma mère en a gardé beaucoup de mon frère, un seulement de moi. »Jean-Claude Gillard montre fièrement le nom de l’enseignante stagiaire sur la porte : « Alice Gillard, ma petite-fille. Elle est en formation pour être instit. C’est curieux, on a été à l’école ici, nos garçons aussi et maintenant notre petite-fille est instit ici. »Clément Gillard, né en 1985, fils de Jean-Claude et Mireille, déjà
élèves à Pierre-Curie : « J’ai eu du mal à quitter Papa et Maman pour aller à l’école. J’ai toujours été bon à l’école, mais j’étais bien chez moi. J’ai fait un tour là-haut, j’ai retrouvé la salle où on faisait des tests d’évaluation en maternelle avant de passer en élémentaire. »Jean-Bernard Delamare, né en 1961 : « Mes trois enfants sont venus à l’école Pierre-Curie comme moi, et maintenant mes petits-enfants y sont : un au CP (Côme) et un en Moyenne Section à la maternelle (Marceau). Ça fait bizarre d’être là ! »Sylvie Tassart, née en 1957 : « J’ai le souvenir de deux CP avec Mme Sénécal, avec ma jumelle Martine. Je l’ai mal vécu, je suis arrivée trop jeune et ça ne m’a pas laissé de bon souvenir. »Mme Delamotte : « Mon fils est instit, ma petit-fille est instit en maternelle, mon frère est prof d’histoire à Toulouse. J’ai toujours voulu faire instit, mais je n’ai pas pu dans la région de Tarbes. »Jean-Jaques Olivares, né en 1956, habite Marseille où il a monté une exploitation horticole. Il a fréquenté Pierre-Curie à partir de 1962 : « On rentrait d’Algérie, après un mois en CP on m’a changé de classe pour le CE1 avec Mme Delarue. Ça m’a beaucoup marqué car son père était douanier à Dieppe, c’était notre voisin de palier à
la cité Bel-Air. On avait passé six mois dans une chambre à l’hôtel de Puys. J’ai découvert les plages, les blockhaus. En 1962, l’hiver, ila beaucoup neigé et il n’y avait pas de cantine : mon père venait dePuys huit fois par jour dans la neige. »Martial Lecomte, comptable, habite Dieppe avec Pascale Rocquigny, inspectrice des impôts. Ils se sont connus à l’école Pierre-Curie, se sont perdus de vue et se sont retrouvés et mariés en secondes noces : « On était ensemble dans la même école, ici, sans se connaître (…). J’ai mis un message sur Copains d’avant pour retrouver des amis. On a suivi le même parcours en parallèle, puis on s’est retrouvés lorsque son père est décédé d’une crise cardiaque. Maintenant, on est ensemble depuis quinze ans. Pascale était copine avec ma sœur Marie-Laure. On retrouve d’anciens élèves de Curie un peu partout. » Pascale Roquigny : « Avec Martial, c’est un hasard absolu. Il a été à Pierre-Curie avec moi dès la fin du CM1 puis on est allés à Camus ensemble puis lui est parti àDumas et moi à Ango. »David Raillot : « L’Amicale laïque de Neuville-lès-Dieppe (ALND) a joué du théâtre pendant 50 ans à la CCI avec les enfants en 1e partie. On a tous joué ici : c’est comme ça que j’ai rencontré ma femme ! »Arnaud Larchevesque, fils du directeur et maître de CE2 Pierre Larchevesque : « Pour moi, l’attitude de mon père envers moi quand j’ai été dans sa classe, c’était anti-pédagogique, une erreur àne pas faire ! Dans la classe, il me mettait à un bureau seul près dusien pour me dissocier de la classe. Je me prenais des tartes dans le nez de temps en temps, dans son souci d’être dur avec moi, contre toute logique d’intégration. »
Cécile Minart, actuelle enseignante de Pierre-Curie en « CE2-CM1,CP, et CE2 depuis huit ans » a elle aussi au ses « deux garçons dans cette école : j’ai voulu avoir mes enfants dans ma classe. A 8 h 30 j’étais la maîtresse et à 16 h 30 la maman. J’ai considéré pareil mes élèves et mes enfants. »
UNE VISITE DE L’ÉCOLE,DES ANNÉES APRÈS...Pierre Larchevesque : « C’est plus joli, plus décoré maintenant. C’est bien. C’est mieux qu’à mon époque. La déco est plus chaude. Avec moi c’était hyper traditionnel, vieille école. On avait des dessins, beaucoup : l’heure de cours de dessin, c’était sacré. Mais on n’aurait jamais mis les tables comme ça pour travailler en groupe : on aurait eu peur qu’ils bavardent. »Francine Bauchet : « Avant les vacances, chacun ramenait un chiffon et on cirait les bureaux. Quand j’étais directrice, mon bureau était sur le côté de celui des enfants ; pas devant ni derrière. J’ai demandé qu’on installe le téléphone à côté, dans la bibliothèque où il y avait les deux premiers ordinateurs… sinon il fallait courir au rez-de-chaussée pour répondre ! »
Mme Delamotte (87 ans) arrive avec sa petite-fille. « Je ne peux pas reconnaître, je ne suis jamais revenue depuis. J’habite Cuverville-sur-Yères et ça a beaucoup changé, ici. A l’époque, la déco était différente : beaucoup de de dessins, de cartes en rapportavec l’histoire et la géo, quand on en trouvait des gravures. Tout le monde avait une blouse. On entrait dans la classe en rangs et si possible en silence. Mon bureau était devant (“sur l’estrade”, dit un ancien élève). On était tenus d’occuper le logement de fonction donc on habitait à côté. J’avais 25 élèves en moyenne. »
« QUELQUES SOUVENIRS DE MES ANNÉES D’ÉCOLE A PIERRE-CURIE » Colette Carbonnier, fidèle des samedis matin de rencontres et d’échanges avec d’anciens élèves, parfois anciens camarades, a prisla plume pour écrire noir sur blanc ce qui lui reste de ses années à Pierre-Curie. A l’encre violette, sur deux copies doubles, d’une belleécriture soignée, voici son témoignage :« En maternelle, je me souviens d’une classe aux murs très hauts. L’école était située au 1 rue du Général-de-Gaulle à Neuville (rue de l’Église). Je n’ai fait qu’une année de maternelle.A la grande école, il y avait encore la séparation filles/garçons. Chacun de leur côté. La cour était séparée par un mur, ainsi que le préau, lui, séparé par une cloison mobile à soufflet. Cette cloison était ouverte le jour de la remise des prix en fin d’année scolaire. Cette célébration était pour les filles et les garçons en même tempset les familles venaient y assister. Dans ce préau, côté garçons, il y avait une estrade en bois où l’on montait lorsque l’institutrice nous appelait et le prix (un livre) nous était remis par une personnalité de la commune ; pour ma part, je me souviens de la femme d’un conseiller municipal, Mme Chéreau, son mari étant marin et ne pouvant certainement pas être présent.
Bon, j’ai commencé par la fin de l’année. C’est tout moi.Je reprends. Nous allions à l’école à pied même si mes parents avaient une voiture. Jamais ils ne nous conduisaient, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige comme on dit. Et pas question de rater, même par grosses intempéries.En arrivant, nous attendions dans la cour que la cloche sonne. C’estce qu’on disait mais c’était une sonnerie électrique. J’en ai encore lesouvenir. Au moment de la cloche, on se rangeait pas deux devant la porte qui menait à l’escalier. Et l’on rentrait, accompagnées de lamaîtresse, chacune dans sa classe. Le tout bien évidemment en silence. Lorsque je suis revenue à l’école, il y a quelques semaines, on a pu la visiter et il me semble que l’escalier n’a pas changé, ou plutôt le sol de l’escalier. La disposition des classes est aussi la même et dans mon souvenir, il y avait des lavabos dans le couloir. A ma grande surprise, ils y sont toujours. Enfin… il y en a toujours, je ne pense pas que ce soit les mêmes. Dans mon souvenir, ils étaient plus arrondis dans les angles.Lorsque nous arrivions dans la classe, nous nous mettions à notre bureau debout dans l’allée et attendions que la maîtresse nous dise de nous asseoir. La classe commençait par une leçon de morale. Peut-être pas dans les petites (CP, CE1), je n’ai pas trop de souvenirs. Une phrase que la maîtresse avait écrite au tableau étaitla leçon du jour. Je me souviens que dans la classe de Melle Phalempin, le lundi matin c’était toujours la même phrase : « Quand on veut, on peut… »Les institutrices, lorsque j’étais à l’école, étaient Mme Sénécal, MmePérignon, Melle Legras qui s’est mariée et est devenue Mme Féron,
Melle Phalempin et Mme Aligny qui était également la directrice. Je les ai nommées dans l’ordre classe : CP, CE1, CE2, CM1, CM2 et find’études pour Mme Aligny. C’était aussi la classe du certificat d’études. Je suis allée une année avec Mme Aligny, je voulais passer en 6ème (enfin… mes parents plus exactement) et ce devait être après la classe de Melle Phalempin. Nous avions un examen à passer pour ce faire, mais ni mes parents ni moi n’avions été prévenus ! Je crois qu’elle ne m’appréciait pas trop et je pense que moi non plus. Pourtant, je me souviens qu’elle habitait au niveau dela fourche juste avant la rue de l’Hirondelle. Elle déposait le matin, pour qu’une élève le transporte jusqu’à l’école, un cabas avec des cahiers des élèves de sa classe. Il m’est arrivé bon nombre de fois de le faire… Mais bon !En classe, j’étais assez forte en calcul, on n’appelait pas ça des mathématiques mais du calcul. J’avais souvent de très bonnes notes. Ce que j’aimais aussi, c’était la science, que l’on appelait histoire naturelle. La géographie et l’histoire me plaisaient aussi beaucoup et je crois que ce qui me sauvait, c’est que j’avais une très bonne mémoire. Le français était moins ma tasse de thé mais je m’efforçais de bien faire parce que je me souviens avoir copié X fois les règles de grammaire en punition donnée par la maîtresse etpour couronner le tout, ma mère parfois me doublait la punition. Alors bien obligée de faire des efforts ! Il y avait aussi la récitation. C’était une poésie à apprendre par cœur bien sûr et à réciter devant la classe en montant sur l’estrade en bois, située devant le tableau, le bureau de la maîtresse était sur cette estrade dans le coin près de la fenêtre.Nos bureaux étaient en bois avec dans le coin en haut à droite un
trou pour y mettre l’encrier. L’encre était violette, il y avait dans l’armoire au fond de la classe des réserves de craies, cahiers, etc. enfin des fournitures scolaires et aussi une bouteille en verre avec un bouchon en bec verseur qui contenait l’encre pour remplir nos encriers. Nous écrivions sur le cahier du jour avec le porte-plume (plume Sergent Major), sur le cahier de brouillon au crayon noir. Nous avions aussi une ardoise en ardoise encadrée de bois et pour écrire dessus, une mine spéciale qui était dans un porte-mine métallique qui pinçait la mine et une petite bague coulissante pour la maintenir. On nous prêtait des livres en début d’année scolaire, qu’il fallait recouvrir pour les protéger. Chez nous, ils étaient recouverts avec du plastique et je me souviens de l’odeur ainsi que de celle des protège-cahiers. J’adorais cette odeur-là.Quand sonnait la récré, il fallait attendre que la maîtresse nous disede nous lever pour ensuite se mettre en rangs dans le couloir et descendre dans la cour. A la récré, il me semble qu’on n’avait pas le droit de courir. Peut-être que c’est un souvenir erroné ? Nous marchions en parlant entre copines, nous faisions des rondes en chantant. Certaines avaient des cordes à sauter. Il y avait sous le préau, peut-être pas toute l’année, le distribution de lait chaud, le matin. J’adorais ça. Je me souviens de Mme Boulard qui faisait cette distribution. Pour info, c’est M. Pierre Mendès-France qui a institué, en 1954, la distribution du « verre de lait ».Je me souviens de la punition qui consistait à faire des tours de cour, les mains dans le dos, et la punition suprême était d’avoir l’objet du « délit » accroché dans le dos. Cela m’est arrivé une fois. J’avais fait des taches sur mon cahier du jour, j’avais dû mal positionner le buvard ou je ne sais plus bien, du coup la maîtresse
(Melle Phalempin, encore elle) a arraché la page du cahier et me l’aépinglée dans le dos – moche.Nous portions toutes une blouse, elle étaient toutes différentes. Il me semble que nous n’avions pas le droit de porter le pantalon mais ça, je ne sais pas si c’est exact. Enfin, pour moi, ma mère ne le voulait absolument pas. Pourtant, pour jouer chez moi, j’en mettais. Ayant deux frères plus âgés, c’était bien pratique. Mais paspour l’école – triste.A l’arrivée en classe, certaines maîtresses nous demandaient de montrer le mouchoir que nous devions avoir dans la poche. Je ne me souviens pas s’il y avait une sanction si nous n’en avions pas.On nous apprenait la discipline et la politesse, mais sans brutalité. Exemple : dire bonjour à la maîtresse le matin en entrant dans la classe. Se lever sans un mot lorsqu’une personne adulte entrait dans la classe. Tout ça se faisait naturellement et rien à redire là-dessus.Le dernier jour d’école, il fallait apporter de la cire et un nettoyant, parfois, pour entretenir nos bureaux. On était fières de le faire, enfin pour ma part, oui. J’aurai certainement d’autres souvenirs quime reviendront mais pour l’instant, c’est tout. »
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